Les derniers rayons de soleil faisaient irruptions par la fenêtre de ma chambre, je jetais quelques coups d’œil dehors et voyais le soleil se coucher. Un magnifique spectacle se montrait devant moi, j’admirais le joli paysage qui me faisait face et soupirais longuement en me retournant pour regarder mes draps encore défaits. Je n’avais pas eu le courage de faire mon lit et Adam ne l’avait pas fait non plus. Il y avait dormi toute la journée sans se préoccuper de ce que je faisais. Depuis notre arrivée, je ne lui adressais pas la parole à cause d’une dispute qui s’était produite sur le trajet de Boston à Sunnyside. Je n’avais pas envie d’aller dans cette ville, je n’avais pas énormément de choses à y faire mais il avait insisté pour que je sois pâtissière au mariage d’un de ses amis. Nous étions là pour un mois, un long mois qui me paraissait une éternité. Cela faisait deux jours que nous étions arrivés et le simple fait de dormir chez des inconnus me mettait mal à l’aise, mais ça, il ne le comprenait pas.

Je sortais de la chambre et y croisais Laureen, la future mariée, elle passait un coup de balai dans le salon tandis que je me dirigeais vers la sortie. Nous avions déjà pris le dîner et je ne comptais pas rester sous ce toit inconnu encore longtemps. « Tu sors Nell ? » disait-elle. « Ouais, je vais faire un tour en ville. » « Très bien, je préviendrais Adam que tu es sorti lorsqu’il rentrera. » « Inutile, il le devinera par lui-même. » Je franchissais la porte sans une parole de plus, Adam n’était pas idiot, il devinerait de lui-même. Je marchais à vive allure tandis que quelques voitures me klaxonnaient en passant à côté de moi. De nos jours, porter une minijupe faisait penser que l’on était une prostituée. Je n’aurais peut être pas dû mettre cette tenue, mais à quoi bon, je me sentais féminine et libre. Je ne voulais pas être une de ses femmes prisonnières de leurs maris possessifs et sans scrupule, je ne l’étais pas pour Adam qui me donnait de l’amour bien plus que je lui en prodiguais.

Je m’arrêtais devant un restaurant-bar assez sympathique, qui donnait vraiment envie de franchir la porte et de prendre un verre. Je n’hésitais pas et y entrais, de nombreuses personnes étaient encore à table et je m’approchais du bar qui brillait de milles feux. Des tas de bouteilles étaient entreposées sur une étagère avec des lumières néons bleu lagon, comme le nom de ce restaurant. Les verres étaient rangés par taille, il en était de même pour les bouteilles. Très joli décor qui donnait envie d’y rester, un lieu très convivial qui laissait penser à un bar de petit village. Ce qu’il était certainement. Je m’approchais du bar et m’accoudais afin de m’approcher du serveur, bien trop occupé à me voir. « Excusez-moi, pourrais-je avoir une vodka orange s’il vous plaît ? » Ni une ni deux, le serveur me la servait avec une rapidité de lièvre. Je le remerciais et déposais de l’argent sur le comptoir en marbre, parfaitement nettoyé, qui brillait grâce aux lumières des étagères.

Le temps passait très vite, j’en étais seulement à ma troisième vodka qu’il était déjà vingt-trois heures trente. La salle se vidait peu à peu, il ne restait pas grand monde, seulement des habitués très certainement, qui buvaient des bières à torrents sans voir qu’ils étaient bourrés comme des trous. Certains me faisaient des signes de mains pour me saluer, d’autres me sifflaient mais je n’y prêtais pas attention, ça ne m’intéressait pas. Je passais ma main dans mes cheveux de temps à autre, afin de les démêler ce qui attirait le serveur à chaque geste. « Vous êtes très belle mademoiselle, vous avez un petit nom ? » « Nell. » Le serveur semblait satisfait et reportait son attention sur une autre jeune femme, non loin de moi qui portait une robe tellement légère qu’on y voyait à travers. Mes yeux se fermaient de temps en temps mais les voix masculines à l’autre bout de la pièce me rappelaient à l’ordre.

Les petites villes se divisaient parfois en plusieurs parties le soir. On pouvait y trouver les alcooliques, comme ici, qui passaient leur nuit dans les bars à la recherche d’un peu de compagnie, puis il y avait les gens parfaits qui avaient un couvre feu personnel qui s’étendait jusqu’à vingt trois heures. Ils menaient leur petite vie parfaite et ça leur convenait comme ceci. Et pour finir, il y avait les gens comme moi, qui venaient prendre un verre en ne sachant que faire de leur soirée. Pour la première fois, je me retrouvais dans un lot de personnes, ce qui n’était jamais arrivé. Avec Adam, notre vie était bien calme, nous ne sortions que rarement le soir, ou s’il devait sortir c’était sans moi et vice versa. Nous n’étions pas un couple ordinaire, les petites sorties en amoureux n’existaient pas chez nous, je ne lui portais que peu d’attention et il en était venu à faire de même. Il ne se souciait plus de moi, et d’un côté je le comprenais, je n’attendais rien de lui. Un divorce aurait été la facilité, mais pour nos parents respectifs nous avions essayé d’apparaître comme un couple heureux et amoureux. Ce que nous n’étions pas. J’avais la permission d’aller voir d’autres hommes même si nous n’en avions pas parlé, nous n’avions pas besoin de paroles pour communiquer, de simples regards suffisaient pour savoir que nous ne nous aimions pas, ou plus.

Le serveur semblait intéressé par ma présence, il ne me lâchait pas du regard tandis qu’il discutait avec cette jolie rousse qu’il avait rejoint quelques minutes plus tôt. Je détournais le regard pour éviter de lui infliger de faux espoirs et surtout une fausse joie. Les blonds ne m’avaient jamais attiré et il ne risquait pas d’être le premier. Les barmans étaient des hommes qui se pressaient devant la première occasion pour faire un numéro de drague à de jeunes inconnues qui ne reverraient sans doute jamais. Un barman ne pouvait pas avoir de relations sérieuses, à quoi bon ? Ils étaient en permanence entourés de prédatrices toutes aussi féroces les unes que les autres, à croire qu’elles faisaient un concours. Et ne parlons pas des serveuses qui mettaient des jupes à la limite du raisonnable juste dans l’espoir de gagner quelques pourboires. Stupidité. C’était le mot.

J’entamais ma quatrième vodka lorsqu’il vint me rejoindre, s’asseyant en face de moi. Il me regardait, surpris certainement de me voir ici, et c’était surprenant, moi qui n’aimait que les grandes villes avec du beau monde, là j’étais complètement hors de mon champ d’attaque. « La vie est faite de surprise, que veux-tu y faire ? » Je souriais, réjouie. Réjouie de le voir ici, me demandant tout de même ce qu’il faisait là, dans cette ville paumée sans intérêt de plus est. « Non, au contraire. Crois-tu vraiment que je viens pour toi ? » Je passais ma main dans mes cheveux, à la recherche d’une petite vacherie à lui lancer, histoire de lui faire regretter d’être parti sans me dire au revoir. « De toute manière, je n’avais aucun intérêt de venir te voir, je viens ici seulement pour le boulot. » Le boulot était la seule raison pour laquelle j’étais ici, jamais je ne m’étais imaginée le revoir un jour et certainement pas ici. Le dernier souvenir que j’avais de lui était notre dernière nuit ensemble, partageant le même lit et nos deux corps qui s’unissaient. Rien de plus. Je le voyais lui, avec ses cheveux mouillés que j’avais ébouriffés tout en l’embrassant avec toute la passion que j’avais pour lui, nos vêtements n’étaient pas restés longtemps sur nous. Certainement la plus belle nuit dont je me souviens, il m’avait donné du plaisir et j’avais espéré le retrouver à mon réveil mais le rêve s’était fini bien trop tôt. Nous n’avions peut être que la passion du voyage en commun, c’était dont ça, il ne voulait rien d’autres et je n’attendais rien de lui, pas même d’un autre. J’étais libre et prisonnière de personne, le revoir ne me ferait pas changer d’avis. « Et toi, tu fais quoi dans cette ville… bizarre ? Ne me dis pas que tu t’es enfin posé dans une ville. Dans cette ville. » Je soupirais longuement et le regardais avec insistance, essayant de voir ce qui avait changé chez lui. Mais apparemment tout était à l’identique de quand il était parti. Il avait gardé son regard attendrissant qui en faisait craquer plus d’une, j’avais su lui résister pendant tout un voyage moi. En le revoyant je me sentais faible à présent, il était là. Devant mes yeux.

En arrivant à Sunnyside, je ne m’étais pas imaginée ce genre de ville. Dans la description de mon mari, c’était superbe, les fleurs étaient toutes colorées et tous les habitants étaient de sympathiques personnes. Or, ce n’était pas mon impression, j’avais rencontré quelques personnes et leurs sourires étaient niais, comme celui de Adam, on aurait dit qu’il était destiné à habiter ici. La ville lui correspondait totalement, des gens parfaits, des couples parfaits qui ne se disputent jamais, des enfants parfaits qui ne font jamais de bêtises. On aurait même pu se croire au pays des Bisounours, mais bien évidemment ce n’était pas possible puisque ce pays était complètement imaginaire. Il voulait être parfait, ce n’était pas mon objectif. Mes objectifs avaient dépassé mes capacités, je n’étais plus capable de les réaliser, chaque jour je pensais à Elijah, c’était lui mon objectif et il m’aurait permis de faire ce qui me plaisais s’il avait été là. Mais non, il avait été lâche, las de devoir supportes mes crises, mes réflexions et certainement las de me supporter telle que j’étais. Il avait préféré fuir, m’abandonnant à un homme qui je n’aimais pas, alors qu’il aurait très pu rester dans mes bras, à se disputer avec moi puis à se réconcilier dans la minute qui suivait. Je ne lui avais pas demandé de m’épouser, ni de me faire des enfants, juste de rester avec moi, de me soutenir dans mes choix comme je l’aurais fait pour lui, mais apparemment c’était trop dur pour lui, il avait décidé d’aller se perdre à Sunnyside et le destin m’y avait amené comme si je lui étais destinée ce qui n’était certainement pas le cas.

Le voyant devant moi n’avait rien changé à ce que je pensais de lui, ça n’avait rien changé à la dernière image que j’avais de lui. Au fond, par sa lâcheté il me répugnait, mais lorsque je voyais ses yeux bleus verts me regarder avec autant d’intérêts, j’en oubliais le mal qu’il m’avait fait en partant si précipitamment. Je l’avais regretté un temps, puis j’étais passée à autre chose, pensant qu’il avait dû en faire autant. J’avais cette peur, peur de lui demander s’il était avec quelqu’un, s’il était marié mais je ne posais aucune de ces questions, appréhendant tout simplement les réponses. Je ne désirais pas entendre des choses qui me feraient regretter de ne pas lui avoir dit ce que je ressentais avant qu’il parte. Je voulais garder un bon souvenir de lui, même si la rancune que j’éprouvais à son égard était véritablement énorme. Il n’avait pas changé, j’essayais de rester impassible, en faisant tout pour ne pas lui montrer ma frustration. Il fallait qu’il regrette de m’avoir laissé me marier avec un imbécile fini. Et pourtant je l’avais attendu. Oui, j’avais attendu ce jour où il serait venu me voir pour me dire qu’il ne pouvait pas entreprendre de voyager sans moi, que je lui manquais, que le silence qui régnait dans sa voiture était difficile à gérer. L’espoir fait vivre m’avait-on dit, mais j’avais suffisamment espéré maintenant. « Non, tu ne me manques pas. Je ne pense plus à toi depuis longtemps tu sais. » Mensonge, oui le plus gros mensonge de ma vie certainement. Il me manquait terriblement et maintenant qu’il était là, j’avais envie de lui sauter dessus et de lui faire l’amour comme jamais personne ne lui avait fait. Mais je chassais ces idées de ma tête, bien trop stupides à mon goût. « Mais bien sur ! Je passe ma vie à faire des études sur les villes pourris des Etats-Unis. Non mais sérieusement, tu me vois dans l’urbanisme ? » Je ne m’étais jamais imaginée faire ce genre de métier, j’étais bien trop classe pour faire un métier pareil, me rendre dans des villes inutiles qui ne m’intéressaient pas, non c’était bien trop barbant comme métier. « Je me fiche totalement de cette ville comme je t’ai dis. Je viens en tant que pâtissière pour un mariage, des amis d’Adam. » Maintenant que j’avais prononcé son prénom, il allait me demander qui était ce Adam, j’espérais qu’il évite le sujet afin de ne pas lui dire que j’étais mariée. Je ne voulais pas lui faire de mal, bien que je n’étais pas sur qu’il souffre pour un homme dont je n’étais même pas amoureuse. J’étais éprise d’Elijah, seulement de lui. « Charmante ville, on se croirait à la ferme. » Les vaches, les moutons ou les chèvres ne m’intéressaient pas, je détestais les animaux de ce genre, et puis de toute façon, je n’avais pas l’allure d’une fermière. J’étais bien trop classe pour m’occuper d’animaux en tout genres. « Tu t’es posé ici ? J’aurais pu t’aider dans tes problèmes. » J’aurais tout fait pour le faire en tout cas, s’il fallait que je l’aide afin qu’il reste avec moi je l’aurais fait. Il ne me faisait suffisamment pas confiance pour me mettre au courant de ses problèmes. Tout mon monde venait de s’évanouir à cette simple parole. Je n’étais certainement qu’une fille parmi tant d’autres, une fille qu’il avait l’intention de sauter et de partir sans même laisser un mot. « Et tu as pensé à moi ce jour là ? Tu sais, le jour où tu m’as laissé seule dans mes draps. A mon réveil j’espérais simplement te voir à mes côtés et au lieu de ça, je trouvais un drap vide. » J’étais égoïste certainement mais je n’arrivais pas à comprendre les raisons pour lesquels il avait choisi de m’abandonner. Je voulais rentrer chez moi certes, mais j’aurais été prête à rester sur les routes à voyager avec lui s’il le fallait. « Pourquoi tu as fait ça la dernière fois que l’on s’est vu ? Pourquoi tu m’as fait l’amour en sachant très bien que tu allais partir sans me dire au revoir ? » Je ne voulais pas pleurer pour lui, il était idiot c’était tout. Je regardais la salle, personne ne nous entendait, je parlais assez bas pour que notre conversation reste personnelle. Mes yeux brillaient, certainement des larmes qui voulaient sortir afin de relâcher la pression que j’avais.

J’avais toujours fuit mes responsabilités, je n’aimais pas assumer les choses telles qu’elles étaient. J’étais certainement trop faible et voir à quel point Elijah se comportait comme un idiot me fit penser à mon mariage avec Adam. Lui au moins il n’avait pas été lâche au point de partir, il avait assumé pleinement ce qu’il ressentait pour moi ce qu’Elijah n’avait pas fait. Après tout, je n’avais été qu’une compagne pour un long voyage semblant interminable, rien ne s’était passé entre nous et notre relation n’était que purement amicale. Alors pourquoi je réagissais comme cela ? Il était parti, c’était un fait, je passais pour une idiote et devais me marier avec un homme que je n’aimais pas. Pendant la cérémonie du mariage, j’avais espéré le voir entrer précipitamment et crier au monde entier qu’il ne pouvait pas vivre sans moi, que j’étais son amie, peut être la meilleure. Je ne lui avais pas demandé de m’aimer de manière amoureuse, je voulais juste qu’il m’empêche de faire la plus grosse connerie et de ma vie et il ne l’avait pas fait. J’avais regardé la salle entière dans les moindres détails espérant l’apercevoir mais non, j’aurais pu attendre longtemps, il ne serait jamais venu. Alors oui, j’avais des tas de choses à lui reprocher, l’abandon est un signe de faiblesse. Je pensais vraiment qu’après cette nuit passée ensemble, on discuterait de l’avenir, de notre avenir. Mais non, c’était inenvisageable, nous n’avions aucun avenir et nous n’en avons toujours pas. Nous sommes beaucoup trop différents, il ne comprend pas ce que je ressens et au fond, il ne connait rien de moi alors à quoi bon continuer cette conversation qui allait bientôt prendre l’allure d’un drame ?

Je me redressais sur ma chaise, il n’avait pas perdu son humour et me faisait toujours autant rire, il savait quelques-uns de mes points faibles et le fait que je n’aimais pas les petites villes en faisaient parti. « Evidemment, j’adore porter des escarpins quand je marche dans la boue. Tu sais, c’est comme si je faisais un concours, celle qui marche le mieux dans la bout avec des talons de douze centimètres. La joie ! » Je souriais, son humour m’avait toujours fait rire, il savait très bien le genre de filles que j’étais et avait certainement dû penser que j’étais une petite fille bourge dès l’instant où il m’avait vu. « Le mariage de Laureen et Jake, tu dois les connaître, la ville est petite. Mais malheureusement tu n’es pas invité, tu m’en vois navrée. » Mes pâtisseries n’avaient rien d’extraordinaire et puis de toutes manières je détestais ce métier, qui plus est je ne pouvais pas manger de ces sucreries pour la simple et bonne raison que je haïssais les gâteaux trop sucrés. En ne les goûtant pas, Elijah allait certainement sauver son palais et sa langue. Il ne mourrait pas dans d’atroces souffrances dû à mes horribles pâtisseries trop sucrés. Venait alors la question fatidique, qui était Adam ? Il ne serait certainement pas ravi ou bien ferait semblant de se réjouir pour moi alors qu’il ne penserait pas un mot de ce qu’il dirait. Je m’y attendais et me lançais dans une explication radicale. « C’est mon mari. Adam est mon mari. » Il n’avait pas besoin de détails mais il fallait que je m’explique, je ne voulais pas qu’il me croit amoureuse d’un homme, ce qui n’était jamais arrivé car même d’Elijah, je n’étais pas tombée dans cet emprisonnement que l’on appelle l’amour. « Un mariage de force en réalité, je ne l’aime pas et je ne l’aimerais jamais. Il voit d’autres filles et moi d’autres hommes. Un mariage pour faire plaisir à nos parents respectifs. » L’explication ne servirait certainement à rien mais il s’en contenterait. J’haussais légèrement les épaules et soupirais longuement en écoutant ce qu’il disait. Il voulait bien évidemment gérer ses problèmes tout seul, mais n’avait-il pas pensé une minute que j’avais l’argent nécessaire pour l’aider, il s’en ficherait de toute manière, il ne voulait certainement pas dépendre de moi mais je l’aurais aidé. « Alors pourquoi tu ne me demandes tout simplement pas de t’aider financièrement ? Je pourrais faire quelque chose pour toi, te prêter de l’argent pour que tout s’arranges. Ne fais pas le martyre Elijah s’il te plaît. Je peux t’aider moi, il suffit de demander. » Il avait certainement trop d’orgueil pour demander et je le comprenais totalement. Après tout, demander de l’argent à quelqu’un n’avait rien de facile, même lorsqu’il s’agissait d’une banque. Elijah fuyait mon regard, du moins c’était l’impression que j’avais, comme s’il voulait que je stoppe rapidement la conversation, il tentait de fuir et j’étais davantage gêné. Je ne savais pas qu’il avait des problèmes d’argent..
Je voulais lui mettre des tas de choses sur le dos, pensant que cela pourrait me soulager mais ça ne faisait qu’aggraver les choses. Je sentais mon cœur battre la chamade, je n’avais jamais été aussi mal à l’aise de ma vie entière. « Tu aurais pu changer ta décision. Tu n’étais pas un con. Après cette nuit passée, j’osais espérer que tu me dirais au revoir, nos salutations avant que je ne te rejoigne ne comptaient pas. » Il semblait s’énerver de plus en plus, comme si je n’avais pas le droit de m’exprimer. Il avait certainement dû voir les larmes dans mes yeux et il ne faisait rien pour le calmer. Je voulais juste des paroles réconfortantes, je les espérais et tout ce qu’il me donnait c’était un haussement de ton et des paroles blessantes. La réalité était devenue toute autre chose maintenant. « Je voulais rester, certes, mais si tu m’avais demandé de rester avec toi, si tu avais insisté juste un petit peu je t’aurais suivi ! Je ne t’ai pas arrêté, j’en avais envie et je ne regrette pas, ce que je regrette c’est de te revoir là maintenant car tu n’es même pas capable de m’accueillir comme si je t’avais manqué ! » Je me levais rapidement, faisant basculer la chaise et je le regardais, haussant le ton de la voix à mon tour. « Je ne te donne pas tous les tords ! Merde mais Elijah tu ne comprends rien ! » Non, il ne comprenait pas mon grand malheur de ne pas l’avoir vu pendant si longtemps, alors que de mon côté je faisais tout pour comprendre sa vie d’aujourd’hui, de l’aider du mieux que je pouvais. Debout, je plongeais ma tête dans mes mains, des larmes coulaient sur mes joues. Je n’étais pas si triste, j’étais énervée et ces larmes venaient de cela.

Fuir était certainement la meilleure solution, c’est ce que tout le monde faisait, ce que je faisais et même la spécialité d’Elijah. Certes, je ne l’avais pas convaincu de rester avec moi mais il n’avait pas insisté pour que je vienne alors on en était venu à se séparer bêtement alors qu’au moins un de nous deux ne voulait pas de cela. La personne c’était moi, je ne m’étais toujours pas fait à l’idée que j’étais mariée et que je ne voyageais plus avec Elijah. Chaque soir j’avais pensé à lui, pendant presque un an et maintenant ce n’était qu’un lointain souvenir, jusqu’à ce soir car le destin avait encore fait une connerie. Celle de nous réunir alors que nous nous étions tout dit, je n’avais rien à ajouter désormais, je ne voulais plus rien lui reprocher puisque de toute façon c’était perdu d’avance. Je ne faisais pas le poids face à lui, face à n’importe qui de toute façon. Je suis et je resterais faible et peu importe ce qu’il arrive. On ne pouvait malheureusement pas remonter le temps et c’était bien dommage, je serai peut être partie avec lui si j’avais su comment ma vie finirait. « Pour le meilleur et pour le pire. » Avec Adam c’était certainement le pire, je ne l’avais jamais regardé comme il l’avait espéré et il me le faisait payer en sortant tous les soirs, allant voir des tas de filles. Je le savais, je le sentais. En se couchant dans le lit conjugal, je savais que l’odeur que je sentais n’était pas la sienne, c’était celle d’une autre fille. Après tout, il avait raison de faire ça, je l’avais plus trahi qu’il ne m’avait trahi. Je m’efforçais de garder le sourire mais après tout, personne n’était heureux dans cette relation sans queue ni tête.

Je n’avais pas encore eu l’idée d’aller dans une ferme en portant mes escarpins, mais j’aurais peut être dû y penser, j’aurais attiré un fermier et certainement trouvé ma place parmi les gens de cette ville qui en me voyant me détestaient déjà. Je passais pour une trainée, et même en essayant de me remettre en question, je ne comprenais pas pourquoi. « Je suis certaine de gagner ! J’ai beaucoup d’équilibre. » Beaucoup d’équilibre oui, j’étais une des rares personne à porter des talons hauts dans cette ville, et surtout de tenir toute une journée en les portant. J’avais été habitué à marcher avec des talons dès mon plus jeune âge, et je ne regrettais pas de savoir marcher avec car c’était surtout un atout pour attiser les regards sur moi. Elijah connaissait tout le monde dans ce village, même Laureen et Jake, il avait vécu certainement toute son enfance et son adolescence ici et donc il devait connaître des tas de gens. A Boston, c’était un peu pareil, plein de gens se connaissaient mais les amitiés ne duraient jamais longtemps car tout le monde cherchait à avoir le meilleur métier et cela finissait toujours en rivalité. Ici, les gens étaient différents, tout le monde était amis avec tout le monde et on se serait presque cru dans un dessin animé pour enfants où tout le monde est beau et content. « Dommage oui. Et ça fait à peu près six mois que je suis mariée. » Je soupirais longuement, n’étant pas ravie de mon engagement envers Adam, je fuyais le regard d’Elijah afin de me concentrer sur autre chose, ne voulant pas en dire plus. Il ne voulait pas de mon aide, préférant certainement rester dans la merde. Il haussait les épaules et je reposais mes yeux sur lui, soupirant assez fort pour qu’il comprenne que je me lassais de ses réponses toutes faites. « La charité ? Je veux simplement t’aider moi, je ne veux pas te faire la charité comme tu dis. Même si tu es un grand garçon, il arrive parfois qu’on ait des moments de faiblesse et c’est ton cas. Alors je t’en prie, mets ta fierté de côté et accepte mon aide s’il te plaît. » Je connaissais déjà la future réponse, un beau ‘non je peux me débrouiller seul’ ce que je doutais fort. Parfois j’avais l’impression de ne servir à rien, à chaque fois que je proposais mon aide par gentillesse je me faisais remballer comme si je ne servais à rien. Personne ne pouvait comprendre le besoin que j’avais d’aider les gens, mais non, j’avais été égoïste tout le long de ma vie alors pourquoi je devenais gentille ? Non, Elijah voulait garder sa fierté et pour cela, il refusait que quiconque l’aide alors qu’il galérait comme personne.

Elijah avait rendu les choses difficiles pour moi, j’avais attendu ses adieux à mon réveil mais jamais il n’était revenu et pourtant il savait où j’habitais puisqu’il avait passé la nuit chez moi. J’aurais pu attendre des années comme ça, il ne serait jamais venu, même pour me dire bonjour en passant. Non, il avait choisi sa vie et moi la mienne, c’était terminée et je comptais bien en finir une fois pour toute avec lui. « Oui, on voulait des choses différentes. » A ce moment de la soirée, je ne désirais plus le contrarier, je finissais ma vodka d’une traite. Je ne voulais plus souffrir et ça allait être chose faite, j’allais partir sans qu’il puisse dire quelque chose ou m’en empêcher. Je ne voulais plus jamais le revoir, plus jamais sentir sa présence, plus jamais revenir ici. Je m’emportais et il en faisait de même, à croire que l’on était devenu un spectacle pour le reste des clients, des tas de regards s’étaient posés sur nous comme si nous jouions une pièce de théâtre et vu l’allure que prenait la discussion, j’avais l’impression d’être une actrice. « Si tu n’as pas d’humour ce n’est pas ma faute ! » Je comptais mettre fin à la discussion mais dans ce cas ce n’était pas possible. « Bien sur que tu m’as manqué ! Bien plus que je ne t’ai manqué. Je n’ai pas besoin de me remettre en question, je ne sais même pas ce que je fais encore là. » J’étais sur de vouloir rentrer à Boston certes, mais je n’avais pas eu le courage de lui avouer que je ne désirais pas qu’il parte, que je voulais qu’il reste avec moi ici. C’était bien trop difficile, je n’avais jamais supplié quelqu’un alors j’avais continué sur ma lignée, je l’avais laissé partir. Les retrouvailles n’étaient pas telles que je l’avais espéré et j’étais déçue, déçue de voir que je ne comptais pas plus que ça pour lui. Ma chaise avait basculé en arrière et presque provoqué un boucan que j’avais empêché. « Je ne te mets pas toute la faute sur toi alors ne joue pas à ça avec moi. » J’avais cette impression qu’il se fichait de moi, qu’il me provoquait et que ça l’amusait, ce qui me rendait d’autant plus triste de voir quel grossier personnage il était devenu. Essuyant les larmes sur ma joue, je ne le regardais plus, je n’avais plus rien à lui dire à présent. « Arrête maintenant. Ne dis plus rien. » Je déposais mon doigt sur ses lèvres et soupirais longuement. « C’est terminé Elijah, c’était une erreur, notre rencontre, nos moments passés ensembles. Cette nuit. Je ne veux plus y penser. » Elijah avait eu le choix, et il était venu ici au lieu de rester avec moi alors pourquoi se battre inutilement pour un homme comme lui. J’aurais voulu lui donner une gifle mais bien sur, c’était impossible et surtout inutile, j’avais beaucoup plus de fierté que ça alors caressant doucement sa joue d’une main et essuyant mes dernières larmes de l’autre, je me retournais et partais dehors afin de prendre l’air et de ne plus voir son visage qui me rappelait tant de souvenirs perdus.

Notre histoire avait pris fin si soudainement, je l’avais certainement mérité mais je le regrettais sincèrement, j’aurais aimé rester avec Elijah pour voyager à travers le monde, mais malheureusement j’avais encore fait les mauvais choix. Ce n’était pas le premier d’ailleurs, j’avais trahi mes proches mais ça, d’un côté je ne le regrettais pas, ils l’avaient mérité. A présent je me retrouvais coincé dans un mariage sans sentiments et sans importance. Je regrettais, je regrettais tout ce que j’avais pu faire, même ma naissance à vrai dire. Lorsque l’on est petit on ne se rend pas compte que la vie est dure mais là, je l’avais très bien compris, j’avais même subi les conséquences de mes actes. Il m’avait manqué, Elijah et toutes ses manières qui m’insupportaient chaque jour, je n’arrivais plus à me contenir, il fallait très bien que je déballe ce que j’avais à dire mais certes, c’était la première fois que l’on se revoyait après tant de temps alors j’aurais peut être du me retenir de dire ce que j’avais sur le cœur. L’eau avait coulé sous les ponts, j’avais avancé, j’avais un travail qui ne me plaisait pas certes, mais j’en avais un. En attendant je continuais mes études et le temps passait. Il passait même trop vite. Elijah avait choisi de retourner avec sa famille ce qui m’avait le plus étonné étant donné qu’il n’en parlait jamais lorsqu’il était avec moi.

Lorsque je l’avais rencontré, nous étions encore que des enfants, nous avions à peu près fait ce dont nous avions rêvé mais ça n’avait pas suffit, il avait fallu que j’ouvre ma gueule pour lui dire que je voulais rentrer à Boston et du coup, je m’étais retrouvée seule pendant une longue période jusqu’à ce que ma mère découvre que j’étais rentrée. Elle avait voulu me marier, et je ne pouvais pas refuser étant donné le mal que je lui avais fait à elle, à mon père, à Adam mais aussi à ses parents. Je n’étais pas la fille qu’ils espéraient mais mes parents avaient insisté pour que je l’épouse, au moins c’était certain que je ne pouvais plus fuir mes responsabilités comme je l’avais fait jusqu’à présent. « Ne dis pas ça.. » N’importe quelle personne était plus forte que moi, c’était plutôt l’inverse à vrai dire, je n’arrivais à la cheville de personne, j’étais pitoyable et il ne s’en rendait même pas compte. Il n’y avait qu’avec lui que j’étais la meilleure, mais ce temps où nous étions ensemble était révolu, c’était fini depuis bien longtemps. « Pas pour mon mariage non ! » En rentrant je n’avais aucune intention de me marier puis mes parents l’ont décidé pour moi, je n’avais pas le choix, je les avais déçu une fois alors pas deux. « J’avais mes études à finir ! Jamais je ne serais rentrée pour me marier, ça serait bien trop stupide. A choisir, je serais certainement restée avec toi, mais on aurait fait quoi ? Voyager jusqu’à la fin de notre vie à en mourir sur les routes ? Non, toi-même tu aurais choisi de rentrer. » Qui voudrait mourir sur les routes des Etats-Unis ? Certainement pas moi, j’avais un peu plus de dignité que ça, et lui aussi je pense. Mais à choisir, j’aurais préféré mourir à ses côtés plutôt qu’avec Adam, la mort aurait été plus belle. « T’as toujours refusé mon aide, mais tu sais, ça ne changera rien, tu vas avoir des problèmes d’argent encore plus gros et après tu finiras à la rue, ainsi que ta famille. C’est vraiment ce que tu veux Elijah ? J’ai la possibilité de t’aider, et je suis sur que tu ferais la même chose pour moi alors pourquoi tu n’acceptes pas ? Un chèque et ça serait réglé tu ne crois pas ? » De toute façon, il se fichait bien de ce que je disais, il était déterminé à affronter ses problèmes seul, sans personne, et s’il continuait il finirait à la rue. Je ne voulais pas le voir dans la rue, il avait tendance à fuir et il recommencerait à voyager pour éviter ses problèmes, comme il l’avait toujours fait, comme moi tout simplement.

Elijah et moi étions compliqués, nous n’arrivions jamais à nous mettre d’accord sur quelque chose, nous étions têtus tout deux et puis dans l’affaire, même si on se contredisait, personne n’aurait jamais raison alors pourquoi continuer de se prendre la tête pour rien ? J’aurais toujours tort et il aura toujours tort, c’était notre comportement habituel l’un envers l’autre. « Des choix que tu regrettes ? » Une simple question mais la réponse était très important pour moi, je voulais savoir s’il me regrettait, s’il pensait à moi chaque jour comme je l’avais fait. Mais après tout, c’était un homme, un homme est différent d’une femme, il ne pense pas à une femme après avoir mis fin à une quelconque histoire d’amour ou d’amitié. Les hommes ne regrettent pas contrairement aux femmes, contrairement à moi qui ne supportais pas ce changement radical depuis tout ce temps. « Je t’ai manqué vraiment ? Alors pourquoi tu ne m’as pas appelé ? J’ai tant attendu pour rien moi. J’ai décidé d’y mettre fin car on ne pouvait pas continuer comme ça. Le monde ne s’est peut être pas arrêté de tourner mais pour moi, le temps s’arrêtait dès que j’étais avec toi, j’avais l’impression d’être invincible, de pouvoir tout faire à tes côtés, j’étais moi-même. » Les gens avaient changé à mon retour, ils étaient tous différents et ne me regardaient plus de la même façon, j’aurais certainement du m’y attendre, mais lorsque j’étais avec Elijah, je ne pensais plus à rien, la seule chose qui m’importait c’était lui, lui et son sale caractère, lui et ses manières qui m’énervaient, mais après tout, j’étais aussi coupable que lui. « On est coupable si tu veux, mais ça ne changera rien. » Nous accuser tous les deux ne changerait rien, l’erreur avait été faite, on ne pouvait pas lutter contre ça. Tout le monde fait des erreurs et on le réalisait à peine. Je m’étais levé et étais sorti du bar, n’espérant certainement pas qu’il me retienne, de toute façon, ça ne servirait à rien. Je m’appuyais contre le mur et le voyais sortir derrière moi alors que j’essuyais les dernières larmes qui coulaient encore sur mon visage. « Alors ne me retiens pas et laisse moi tranquille. » Je soupirais, fuyant son regard. « Tu n’as plus de place dans ma vie oui, car tu n’en veux pas en fait. Ce n’était peut être pas des erreurs je le conçois, mais à présent je regrette. En te voyant là, tu ne sais pas du tout ce que je ressens, tu ne sais pas à quel point ça me fait mal car tu ne veux pas comprendre. » Nos vies avaient changé et nous n’étions pas fait pour vivre ensemble, à force de se chamailler, il y en aurait bien un de nous deux qui serait parti alors à quoi bon continuer d’en parler maintenant. « Le bon souvenir est maintenant gâché, par ta faute, par ma faute, je ne veux plus jamais en parler. » Je ressentais un pincement au cœur, je savais que je devais partir à ce moment là. « Je ne veux plus te voir Elijah. Laisse-moi tranquille. » Je mentais oui, j’avais envie qu’il reste là mais je ne saurais plus quoi lui dire, j’avais dis ce que j’avais à dire et maintenant c’était fini, nous n’avions plus rien à nous dire. Je sortais un mouchoir de mon sac et passais ma seconde main dans mes cheveux pour les remettre en place comme par habitude, je le regardais avec des yeux pleins de larmes, soupirant longuement.