Je suis stressé, non je suis pas stressé, si je suis stressé quand même, en fait non pas vraiment, enfin si quand même un peu, mais non je le suis pas, si si je le suis, être stressé c'est comme écrire des phrases qu'avec des virgules, c'est bizarre comme analogie, mais c'est la seule qui me vient, pourquoi je pense à ça c'est idiot, je vais pas faire un cours de français quand même, tiens une mouche, je dois me concentrer pour mon entretien d'embauche, allez je me ressaisis et je prends mon air : "mec pas stressé", oh non je devrais juste avoir l'air normal, mon air "mec pas stressé" me fait ressembler à un débile congénitale, remarque c'est ma soeur qui dit ça donc ça vaut ce que ça vaut, merde j'ai vraiment écrit qu'avec des virgules, c'est illisible. « Zazou ... ». Il marque un gros temps d'arrêt en lisant mon nom, tout le monde fait ça. Ils lisent mon nom machinalement et puis ils se rendent compte que c'est bizarre, du coup ils relisent deux fois pour être sûr. « C'est vraiment votre nom ? ». Ils me font tous le même coup - remarque, je les comprend un peu - mais bizarrement, ça m'aide à me déstresser, je ressens plus la pression de tout à l'heure. « Monsieur, c'est moi et oui c'est mon vrai nom, ma mère adore le roi lion ». C'est sorti tout seul, pourquoi j'ai dit ça ? C'est pas possible d'être aussi maladroit. C'est le genre de truc qui m'arrive tout le temps, on croirait que j'ai un syndrome de la Tourette parfois. Une fois j'ai même parlé klingon à une fille que je draguais - bon j'étais bien bourré aussi, mais quand même. Il esquisse un sourire, c'est déjà pas mal : j'arrive à faire sourire mon futur patron. En même temps, son journal s'appelle le Loopy Daily, ça annonce la couleur. Prenez cette rousse par exemple, elle a l'air bien folle dans son genre. Je fronce les sourcils, dire que c'est là que je vais bosser, dans cet asyle de fou ; ça va pas m'aider à paraître normal tout ça.

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« ♪ C'est la première fois qu'on voit un roi avec si peu de poil ♪ ». Difficile de pas entendre ma sœur arriver, je la voyais passer sa tête par l’entrebâillement de la porte, un grand sourire aux lèvres et une lueur malicieuse dans le regard. Elle sait que j'étais au téléphone avec une fille et elle sait que je sais qu'elle sait et qu'elle a envie de m'emmerder avec ça - si vous avez pas suivi, y a un récapitulatif en page 5. C'est pas vraiment ma sœur en fait. Pour faire vite, c'est ma demi-sœur, son père s'est marié avec ma mère après son divorce d'avec sa première femme. « Alors bourreau des cœurs, t'as chopé ? ». Je soupire, elle sait que j'aime pas qu'elle parle comme ça - oui, je suis un romantique et alors - et je repose le téléphone que je tenais encore en main. « Mais dis-moi, elle sait que tu es ... ». Elle ménage le suspense, elle aime bien faire ça. « ... un geek !! ». TADAAAA ! Oui, ça c'est de la grosse révélation, le climax absolu. Chers lecteurs qui que vous soyez : je suis un geek. J'aime la SF, je connais star trek par cœur, je parle Klingon et Elfique, j'ai même une réplique exacte du sabre laser de Vador. Et voilà que ma mère entre dans ma chambre. « Fils ! ». « Mère ». On s'est toujours parlé comme ça, cherchez pas. « As-tu déjà couché avec cette jeune femme ? ». Ma mère a le teint pâle, j'ai hérité ça d'elle, mais là j'étais devenu plus blanc que blanc, presque translucide. C'est ce qui arrive quand votre sang part du cerveau pour se diriger vers vos jambes. Ensuite je suis devenu rouge ou plutôt quelque chose entre le bordeaux et le rouge cramoisi. C'est ce qui arrive quand votre sang part des jambes pour se diriger vers votre cerveau. « Ah pardon, tu préfères que je dise faire l'amour. Fils ! ». « Mère ». « As-tu déjà fait l'amour avec cette jeune femme ? ». Famille de taré. Le poète disait famille je ne vous hais point, mais le poète n'a jamais eu ma famille.

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Je crois que c'est le moment de vous parler de ma famille. Ma mère m'a eu jeune, vers ces seize ans. Mon père s'est barré. Une histoire classique, quoi. Là où ça devient plus intéressant, c'est que ma mère est la femme la plus douce que je connaisse, mais elle est folle. Pas excentrique, véritablement folle. Je vous rassure, elle se soigne et elle va très bien ; c'est pour ça qu'elle a le droit de m'élever et de vivre normalement. Bref, on vivait très bien tous les deux. De temps en temps, je voyais mes grands-parents et puis un jour ma mère a ramené un mec à la maison : j'avais quinze ans. Un grand mec bien bâti, du genre sportif viril, mais maladroit au possible et avec lui cette fille aux cheveux blonds presque blancs. On était tous assis dans le salon, lui sur le canapé, moi sur un fauteuil et ma futur demi-sœur sur un autre. On attendait que ma mère revienne de la cuisine avec le thé - héritage de nos origines anglaises - et on évitait soigneusement de se regarder. En même temps qu'est-ce que j'étais censé lui dire ? Je suis à peu près sûr qu'il pensait comme moi. « Alors, il parait que ton truc c'est le cinéma ? ». J'avais presque sursauté en l'entendant parler. Autant son physique faisait penser un gros dur, autant sa voix était douce et mélodieuse. « Euh ... Ouais, la SF surtout, c'est bien mon truc ». Je vis son visage s'illuminer sans comprendre pourquoi. Il s'avança sur le bord du canapé. « La SF, c'est vrai. Tu sais que je suis auteur de SF, en fait ». D'accord, là il m'a eu. Il m'aurait dit qu'il était prof de sport, soldat ou même James Bond, je l'aurais cru sans problème, mais écrivain ... Je vous avoue que ça me laissait sur le cul. « Plutôt dans la veine d'un Bordage ou d'un Dick ? ». « Plutôt Dick, j'ai essayé d'écrire des grandes épopées SF, mais c'est pas mon truc ». J'en croyais pas mes oreilles. Je sais que dans ce genre de situation, un ado normalement constitué doit détester son beau-père - toutes ces conneries d'oedipe non résolu - mais là, je pouvais pas. « Mère ! ». « Fils ». « Quand est-ce que tu l'épouses ? ».