Ma vie, ce raté total. Ce zéro pointé sur cette échelle de un à dix. Ces réveils douloureux, parce qu'il faut bien se lever, parce qu'il faut bien s'occuper, ou travailler. Samedi. La fin d'une semaine de travail. Je n'ai pas hâte de reprendre les cours, finalement. J'ai terminé l'année sur une note si triste que retrouver les bancs de l'université va vraiment me rappeler tous ces mauvais moments. Le soleil passe à travers les persiennes mais il m'évite, il va s'échouer sur le mur à droite de mon grand lit. Mon lit vide. Comme moi je suis vide de sens.
J'ai déjà chaud, et pourtant il est à peine neuf heures. Les étés sont chauds, à Sunnyside. Je préfèrerais qu'il pleuve, au moins je ne me sentirais pas coupable de ne pas avoir envie de faire un coucou au beau soleil. Je repousse les couvertures de mon frêle corps et me lève, toute faible. Je n'ai pas fait la vaisselle hier soir, tant j'étais fatiguée. Il n'y a même pas un seul verre de propre pour que je me serve un peu de jus d'orange... La honte. Je déteste devoir tenir mon appartement à flots en étant seule. Si j'avais quelqu'un que j'aime à mes côtés, je cuisinerai volontiers de bons petits plats le soir, voire même le midi s'il le voulait. Je ferai la vaisselle pour qu'il ne se dise pas "Quelle femme ai-je choisi ?", et le ménage pour que la maison lui donne envie de rester.
Dans un soupir, je retourne dans ma chambre, ouvre mes volets et respire l'air frais. Le soleil tape déjà, heureusement une petite brise rafraîchit la température extérieure. Je devrais peut-être aller me promener incognito, cachée derrière mes lunettes de soleil pour que personne ne m'aborde. Je n'ai pas envie de parler, de faire l'hypocrite, de devoir répondre "Oui, merci, je vais bien." pour ne pas avoir à expliquer pourquoi "Non ça ne va pas du tout.". J'ouvre ma commode, prend des sous-vêtements, attrape le tee-shirt blanc uni que je portais la veille, ainsi qu'un short en jean qui traîne sur la chaise en rotin du salon. La douche brûlante me réveille un peu, mais j'ai expressément besoin d'un café. Je m'habille en vitesse, ne prends même pas la peine de me sécher les cheveux, me brosse les dents histoire de, et sors de mon immeuble la tête basse, mes lunettes de soleil sur le nez.
Le léger vent se faufile entre mes jambes, comme une caresse dont je rêve et que je ne pourrai jamais obtenir. Deux options s'offrent à moi, une fois arrivée devant mon café favori. Soit je prends mon petit déjeuner à emporter, soit je le prends sur place. Si je l'emporte avec moi, je pourrai retourner me cloîtrer tranquillement chez moi, sans personne pour m'embêter, mais si je le prends sur place, je prends également le risque de croiser quelqu'un que je n'ai surtout pas envie de croiser en ce jour qui dans ma tête est pluvieux.
Je prends à emporter. Il faudra seulement cinq minutes à la serveuse pour rassembler ce que je veux, ainsi je pourrai rapidement retourner à la maison sans me prendre la tête. "Bonjour, un café bien serré, un jus d'orange et un croissant simple, s'il vous plaît. A emporter, oui." Je me décale légèrement histoire de ne pas gêner les autres clients, et triture mes clefs dans la poche droite de mon short. Ca a l'air d'agacer le vieil homme qui attend à côté de moi, il me foudroie du regard. Je n'ai même pas envie d'arrêter, juste pour le plaisir de l'embêter. Ca m'arrive de vouloir être méchante. Très rarement cependant.
La serveuse se retourne vers moi, me demande paiement et me tend un sachet en papier. Je le prends tout en lui tendant un billet et me retourne afin de partir. Je contourne les gens derrière moi, baisse la tête pour sortir mes clefs d'avance et me heurte à quelqu'un en voulant sortir.

— Pardon, je ne vous avais pas...

Les mots restèrent coincés dans ma gorge en levant la tête et en reconnaissant la personne que je venais de bousculer.