Mes doigts légèrement moites s'enroulèrent doucement autour du verre encore frais avant que mes lèvres n'effleurent le liquide transparent que j'englutis avec difficulté ''Un dernier verre, pour la route'' c'est ce que je me répétais depuis déjà une heure et demie, une heure et demie que j'enchaînais les verres de vodka dans ce petit bar minable, essayant d'oublier tout ce qui se passait dans ma vie, dernièrement. Il s'en était passé tellement, des choses, qu'une heure dans un bar était loin de tout effacer mais il fallait faire avec les moyens du bord et à Sunnyside, des moyens, il n'y en avait pas des centaines. « un autre, s'il vous plait » demandais-je au serveur en lui montrant mon verre vide d'un rapide signe de la main, ce même signe que j'avais déjà effectué moult fois en cette même matinée. Tiens, d'ailleurs, quelle heure était-il ? Cette question en tête, je dirigeais mon regard vers la vieille pendule du mur tandis que j'essayais de dissocier les aiguilles malgré le niveau de difficulté qu'infligeait la vodka qui circulait dans mon sang. Pas de quoi fouetter un chat, certes et à vrai dire, des verres, il m'en fallait beaucoup plus pour être bourrée, dans le genre vraiment bourrée, au point de faire la manche toute nue dans une fontaine en marche avec votre sœur en dehors qui vous filme en se riant de vos formes. Ah Aleysia... en matière d'alcool, elle était un numéro à elle toute seule.

Je souriai en repensant à ces soirées dans les bars ou l'alcool coulait à flot, où celle qui boirait le plus de shots serait dispensée de vaisselle et de ménage, c'était le bon temps, c'était bien avant que tous ces malheurs ne nous tombent dessus et à vrai dire, ce temps me manquait, cette époque ou nous agissions comme de vraies sœurs, cette époque ou nous ETIONS de vraies sœurs, à mes yeux. J'avais conscience que c'était de ma faute, si tout avait changé, si nous étions beaucoup moins proches qu'auparavant et j'étais la seule à blâmer, oui c'était moi, après tout, qui avait décidé de prendre un peu de recul vis à vis d'elle et de notre relation fraternelle en la forçant à n'être qu'une impuissante spectatrice à ce malheureux spectacle tandis que moi, sa sœur, me transforme en inconnue. Bon certes, j'exagère peut-être, inconnue est peut-être un terme fort, après tout ce que nous avons vécu ensemble, et les épreuves traversées main dans la main, Aleysia ne pourrait jamais devenir une simple inconnue, une simple fille de mon passé, ''somebody that I used to know'' et je savais, j'étais même persuadée qu'elle n'aurait jamais pu laisser cela arriver, aussi bien que je la connaissais, elle était bien trop bornée pour me laisser m'éloigner, tant mieux, d'ailleurs car sans son acharnement, elle serait toujours à Chicago et notre rendez-vous quotidien se réduirait à un simple coup de téléphone de cinq minutes en rentrant du boulot et j'étais bien trop fière pour l'admettre mais cette situation m'aurait tuée. Avec toutes ces pensées, ces souvenirs et ces verres je n'avais pas vu le temps filer, comme si j'étais arrivée dans ce bar il y a seulement cinq minutes alors que non, je m'y trouvais bien depuis deux heures. DEUX heures que j'étais dans un bar... je touchais le fond, sur ce coup ci.

Et merde, il était 13h32, nous étions mercredi et j'étais mal, vraiment. Il était Mercredi et à quatorze heure c'était notre rendez-vous hebdomadaire. Bon certes, nous vivions ensemble, mais c'était différent, on se contentait de se croiser dans l'appart, de manger ensemble, dese raconter nos journées mais ce n'était pas assez, ce n'était pas comme avant. On avait besoin d'une journée, d'un moment rien qu'à nous, sans boulot, sans problèmes et ce moment, c'était le Mercredi à quatorze heure comme Aleysia et moi l'avions décidé en emménageant à Sunnyside, enfin surtout Aleysia, puisque c'était son idée, j'imagine qu'elle se rends compte, au fond, que j'essaie de prendre mes distances alors cette habitude est arrivée, sans s'presser. Ouais, cette habitude, c'est un peu notre Zorro, notre super héro qui nous empêche de sombrer dans la solitude, et qui nous permet de rester proches, j'imagine. Il me restait 28 minutes...27, maintenant pour me rendre au supermarché en métro, bus et compagnie et les moyens de transports, à Sunnyside, ils étaient bien loin d'équivaloir ceux de Chicago. Ah, Chicago... Parfois cette ville me manquait, même terriblement. Et pour cause, c'est pas tous les jours qu'on échange une grande ville toujours en mouvement contre un petit patelin nommé Sunnyside qui comporte 5 magasins qui se courent après mais bon, le destin m'y avait envoyée et j'avais besoin d'y trouver des informations sur ma famille et comme on dit, la famille est ce qu'il y a de plus important. C'était bien plus important que Chicago et ses moyens de transports d'une rapidité surprenante. C'était bien plus important que d'arriver à l'heure à ses rendez-vous.

Il était bien quatorze heure vingt six et j'avais bien vingt six minutes de retard, je me sentais vraiment mal, même si à vrai dire, que je n'ai que 26 minutes de retard était un exploit vu l'heure à laquelle j'étais partie mais ce coup-ci, ce n'était pas un dîner de raté, j'étais arrivée en retard à notre journée sacré, à notre mercredi quatorze heures. « Alou, excuses moi, excuses moi. J'suis désolée, j'ai pas vu le temps passer et mon métro est tombé en rade » m'exclamais-je en apercevant Aleysia assise à la terrasse d'un café avant de prendre la rouquine dans mes bras. Bon, certes, un câlin n'allait pas rattraper le fait que j'ai 26 minutes de retard ou encore le fait que je lui aies menti à l'instant mais ça ne coûtait rien d'essayer puis qu'est-ce que je pouvais bien faire d'autre ?